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4 jours dans le Darien à la rencontre des Emberas

Darien, un mot qui ne laisse personne indifférent.

– Pour les amoureux de la nature, le Darien représente l’un des plus riches écosystèmes de la planète,

– Pour les backpackers, la Darien représente un véritable casse-tête empêchant de passer librement, par la route, de la Colombie au Panama ou vice-versa,

– Pour les représentants politiques Colombiens et Panaméens, le Darien représente un autre casse-tête à gérer avec des milliers de narcotrafiquants cherchant à avancer en direction des Etats-Unis,

– Pour les Emberas et Wounaan, peuples indigènes, le Darien représente un habitat qu’ils cherchent à tout prix à sauvegarder de la guérilla, des chercheurs d’or et de la coupe du bois des multinationales.

Au mois de Mars 2004, alors en plein tour du monde en stop en Colombie, la question se posait à moi. « Comment passer de l’autre côté du Darien gap pour rejoindre le Panama » ? J’avais alors étudié toutes les options parmi lesquelles la traversée « Indiana Jones » à la machette pendant 10 jours (comme ce qu’ont fait Jamel Balhi ou la famille Hervé) que j’avais assez rapidement mis de côté notamment à cause de la guérilla côté Colombien. J’avais finalement opté pour le bateau-stop depuis Carthagène jusqu’à Colon, deuxième plus grande ville du Panama tout en me promettant de me rendre un jour ou l’autre au cœur de cette forêt tropicale.

11 ans plus tard, je profite d’un séjour familial au Panama pour me rendre quelques jours au cœur du Darien. A présent père de famille, mon but n’est ni de jouer au héros, ni de prendre le moindre risque inconsidéré. Même côté Panaméen, le Darien reste une zone très sensible où Narcotrafiquants et guérilleros en tous genre se feraient un plaisir de kidnapper un jeune français et où la nature aurait vite fait de jouer des tours à quelconque inconscient mal préparé.

Mon objectif aujourd’hui est double : 1) M’imprégner de ce formidable écosystème et 2) Partir à la rencontre des populations indigènes vivant dans cette partie du monde, les indiens Emberas et Wounaan. J’ai eu la chance pendant mes années de voyage de rencontrer de nombreux peuples premiers (aborigènes en Australie, Cree – cousins des Inuits – dans le nord du Canada, Kogis en Colombie, Saraguro en Equateur, etc.) et ai beaucoup appris à leurs côtés. J’aime étudier et comparer leur condition et leurs défis sous différentes latitudes.

Sous surveillance constante

On ne part pas dans le Darien comme on partirait dans la Creuse. Côté Panaméen, comme côté Colombien, la province du Darien est divisée entre zones rouges et zones accessibles. Pour un étranger comme moi, l’accès aux zones rouges est très réglementé et un permis doit être délivré par SENAFRONT, la force publique Panaméenne en charge de la protection des frontières (Servicio Nacional de Fronteras). L’obtenir prend généralement 1 à 2 mois, parfois plus. Inutile de dire qu’il est très fortement recommandé de ne pas s’y rendre pour les raisons évoquées ci-dessus. Dans mon cas, n’allant pas dans les zones rouges, aucun permis de fut nécessaire.

Depuis que je suis marié à une Panaméenne, je me rends chaque année au Panama et découvre chaque année un peu plus ce petit pays des plus charmants. Ce pays ne compte pas d’armée (depuis 1990) et il n’y a généralement aucun point de contrôle si ce n’est ceux de la police nationale pouvant vérifier les permis de conduire comme partout ailleurs sur la planète. La réalité du Darien est cependant différente. Ici, les check-points de l’armée sont fréquents, aussi bien sur la Panaméricaine qu’à l’entrée de chaque communauté indigène. En tant qu’étranger, SENAFRONT veut tout savoir sur vos déplacements. « D’où venez-vous ? », « Où allez-vous ? », « Combien de temps comptez-vous rester ici ou là ? ». Autant d’informations leur permettant d’agir au plus vite en cas de kidnapping. Leur présence fut donc très régulière tout au long de ces 4 jours dans le Darien. SENAFRONT m’a fait perdre un peu de temps mais ne m’a bloqué aucune entrée.

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Ce séjour dans le Darien, je l’ai fait aux côtés d’Octavo, neveu de Marisol de 27 ans, connaissant bien la région ayant grandi dans la petite ville de Meteti, à une cinquantaine de kilomètres de Yaviza, la fin de la Panaméricaine côté Panaméen. La ferme de sa maman, située sur les bords du fleuve Chucunaque, près d’une communauté indigène, nous servira de base pour le logement. La maisonnette est très simple, j’y dormirai par terre et me laverai dans le fleuve. Un vrai bonheur !

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Yaviza, fin de la route, terminus, tout le monde descend

Rejoindre l’Amérique Centrale depuis l’Amérique du Sud (et vice-versa) est un vrai casse-tête pour les routards. En effet, 150 à 200 Kms de jungle appelés “Darien gap” viennent bloquer la route empêchant la Panaméricaine (16.000 kilomètres) de relier l’Alaska à la ville d’Ushuaia en Argentine (ville la plus australe du monde) au niveau de la frontière Panama-Colombie. Nombre de gens ont dénoncé cette situation pour le moins comique au 21ème siècle et mis en avant le manque à gagner dans le commerce Amérique du sud – Amérique Centrale et du nord mais plusieurs freins s’opposent à la création de cette route :

– Panama, pays le plus au sud de l’Amérique centrale, ne juge pas utile de faire cette route et se sent de ce fait protégé de l’intense trafic de drogue et de la guérilla régnant en Colombie.

– Construire une telle route serait très coûteux et les Etats-Unis ne sont aujourd’hui plus disposés à la financer.

– Plusieurs organismes de protection de la nature ne veulent pas de la création de cette route qui détruirait une partie de la nature.

– Certains groupes d’indigènes vivent au beau milieu de la forêt du Darien et ne souhaitent pas la création de cette route.

– Les alternatives pour le voyage entre la Colombie et Panama rapportent plus d’argent (bateau, avion).

Ainsi, toutes ces raisons font que la route Panama – Colombie n’est pas prête de voir le jour.

C’est donc à Yaviza que s’arrête la Panaméricaine.

J’aime les villes donnant cette impression de bout du monde. Ushuaia en Argentine, Darwin en Australie ou encore Waskaganish au Québec m’ont donné cette impression par le passé de toucher du doigt le bout du bout. Yaziva donne également un peu cette impression. Plus on s’en rapproche, moins le trafic est important, jusqu’à devenir presque inexistant.

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Arrivé dans cette ville située à 4-5h de route de Panama city, je m’attendais à voir une fin de route abrupte, un peu comme celle de l’entrée du désert de Gobi à la frontière entre la Mongolie et la Chine (voir ci-dessous) et à prendre une photo indiquant qu’il n’est pas possible d’aller plus loin.

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Ce n’est pas le cas. Une fois arrivé à Yaviza, des routes mineures partent dans tous les sens. Il n’y a pas de photo intéressante à prendre, si ce n’est celle du port, lieu de départ de tous ceux souhaitant aller plus loin et lieu d’arrivée pour tous ceux souhaitant vendre leurs productions, notamment les bananes Plantin, légume très souvent consommé dans la région.

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Yaviza est une petite ville d’environ 1800 habitants composée d’habitations généralement très simples en bois.

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Une végétation luxuriante

Mais l’objectif de ce séjour était avant tout de plonger au cœur de la nature, de sortir un petit peu de la ville. Rien de tel que de passer quelques jours entre les arbres et sur l’eau pour prendre de l’énergie et se ressourcer. Durant des heures, à bord de notre pirogue, nous remontons le fleuve Chucunaque. A droite, à gauche, régulièrement, de nombreuses tortues, des caïmans attendant sagement l’heure du déjeuner ou encore de nombreux oiseaux nous passant au-dessus, tous plus beaux les uns que les autres. Tout pour réjouir le féru de nature que je suis. Dans les terres, toutes sortes d’animaux peuvent être rencontrés. Parmi les plus impressionnants et dangereux, le jaguar, la panthère noire ou encore toutes sortes de serpents, araignées ou scorpions. Malheureusement (ou heureusement), je n’aurai pas la chance (ou la malchance) d’en croiser ce coup-ci. La maman d’Octavo m’expliquera cependant que ces gros félins font partie des prédateurs des vaches qu’elle essaie tant bien que mal de gérer.

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Au cœur des communautés indigènes

Ces dernières années, j’ai eu l’occasion à 3 reprises de me rendre dans une communauté Embera (accompagné de diverses personnes) à 1h de route puis 45 minutes de pirogue appelée « Embera Drua ». Aussi intéressantes furent-elles, leur rencontre m’avaient laissé un peu sur ma faim. Je n’ai rien contre l’ethno-tourisme, celui-ci peut permettre à des communautés de gagner un peu d’argent tout en cherchant à maintenir leur culture à flot. En y allant, j’avais cependant à chaque fois la désagréable impression qu’on « jouait » à l’Embera pour satisfaire le touriste que j’étais. Les femmes étaient habillées comme dans les livres, les seins à l’air, jeunes et moins jeunes avaient les jolis tatouages traditionnels, les hommes portaient leur string comme unique cache-sexe, les danses traditionnelles étaient toutes plus belles les unes que les autres, etc. Bref, tout pour plaire au touriste en manque d’exotisme.

Pendant les 4 jours de ce séjour dans le Darien, je n’ai pas rencontré le moindre touriste. Les communautés indigènes visitées ne sont clairement pas des zones touristiques et avoir la visite d’un européen était pour eux un événement, une véritable surprise. En me rendant dans ces communautés, hors de tout circuit touristique, mon but était de voir la vie quotidienne de ces gens vivant loin de toute ville sans électricité.

Les habitations des communautés rencontrées sont tout ce qu’il y a plus simples. Elles sont toutes construites sur pilotis pour éviter les insectes et les inondations.

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Pour ceux ne respectant pas la loi locale, un système de réprimande est mis en place. Il consiste à mettre le contravenant sous les planches, lui enlever le T-shirt et lui mettre des fourmis rouges qui piquent sur tout le corps. Sous un soleil brûlant, cela fait généralement effet et ne donne pas envie de recommencer.

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Toutes les communautés visitées pendant son séjour se ressemblaient les unes aux autres, soient-elles peuplées de Emberas ou de Waounans. La différence entre ces deux peuples est principalement le dialecte et la confection d’objets d’art. Pour le reste, c’est presque du copier-coller.

Dans chacune des communautés visitées, l’accueil fut chaleureux. Expliquant que ma volonté était simplement de mieux connaître et comprendre leur style de vie et leur culture, je fus généralement bien reçu, comme par cette dame par exemple qui m’offra spontanément à boire (une noix de coco) et à manger (une banane).

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Au risque de décevoir les adeptes du maintien des cultures, les Emberas, hors circuits touristiques, ne s’habillent plus avec leurs vêtements traditionnels, sauf pour les jours de fête. Seuls les plus anciens essaient tant bien que mal de perpétuer les traditions mais force est de constater que les jeunes préférent aujourd’hui porter les T-shirts classiques au quotidien. Même dans les communautés les plus reculées, la relation avec le monde moderne est établie. Une dame m’informe que ses 5 enfants sont partis vivre à Panama city, qu’ils viennent lui rendre visite pour les vacances mais qu’ils n’ont aucune volonté de revenir vivre loin de tout. Pour les peuples indigènes aussi, l’exode rural est une réalité importante. Dans la communauté d’El Salto, je pose la question à une vieille dame du maintien de la culture chez les jeunes, les yeux en l’air, elle me répond du tac au tac un brin dépitée « pfff, ils ne veulent même pas apprendre notre langue ». On me confiera ensuite qu’ils la comprenne mais qu’assez peu la parle. Encore une langue prête à disparaître, comme plusieurs milliers d’autres à travers le monde…

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J’aime rencontrer les anciens, surtout dans ce genre de communautés. J’écoute avec attention leurs histoires et souvent leur nostalgie. Le « c’était mieux avant » revient régulièrement. Beaucoup prennent plaisir à partager leur savoir et leurs expériences.

Dans la communauté de Peña Bijagual, je rencontre un brave Monsieur de près de 90 ans (il n’en est pas vraiment sûr). Il m’indique avoir 8 enfants mais que la plupart sont décédés, que survivre est un défi quotidien par ici. Un autre, un petit peu plus loin, victime d’un AVC il y a quelques années, m’indique qu’il ne peut plus marcher et qu’il n’est pas descendu de sa maison depuis plus de 3 ans. Assis, les pieds dans un liquide avec des feuilles, il attend patiemment que les jours passent aux côtés de sa dinde gloussant de temps en temps. Il ne sait pas lire et ne fait rien de ses journées sinon s’essuyer le front de temps en temps à cause de la chaleur. Il me remercie d’être monté lui dire bonjour et d’avoir échangé quelques mots avec lui. Visiblement son « highlight » de la journée, peut-être du mois.

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Des rencontres impromptues parfois surprenantes

Au cours de ce séjour, j’ai rencontré de nombreuses personnes. Si je m’attendais à rencontrer des indigènes, des policiers de SENAFRONT ou encore toutes les couleurs de l’arc en ciel qui compose la nation panaméenne, je m’attendais beaucoup moins à rencontrer à Yaviza des bangalis (habitants du Bangladesh), des Népalais, des Somaliens et des Ghanéens, tous en attente d’une permission de traverser le pays en attendant de rejoindre leur graal, les Etats-Unis. L’un des Bengalis me confiera avoir pris un avion jusqu’au Brésil et avoir parcouru par la route tout le chemin jusqu’au Panama.

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Visites de petites bourgades

Outre Yaviza, j’ai eu l’occasion de passer dans quelques petites bourgades. Certes, aucune d’entre elles ne possèdent un grand intérêt touristique mais ce fut tout de même bien sympa de les découvrir.

Real de Santa Maria

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La grande foire de Meteti

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La Palma, capitale de la province du Darien

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Visite dans des écoles

Histoire de lier l’utile à l’agréable, j’ai eu l’occasion de rencontrer 4 nouveaux Twamhosts pour la plateforme TWAM (www.travelwithamission.org/fr) et de faire du Twaming en donnant 2 conférences. Toujours un plaisir de partager !

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A bientôt

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